Les clichés ont la peau dure ; beaucoup de gens sont persuadés que les Corses ont le sang chaud et s’offensent pour un rien. Ce n’est bien sûr qu’une image d’Epinal, mais si vous voulez énerver un Corse, vous pouvez toujours tenter une des méthodes suivantes.
1. Demander au serveur de diviser la note
En Corse, demander au serveur de faire des additions pour que chacun puisse payer uniquement ce qu’il a consommé est assez mal vu. Ne faites pas ça si vous dîner avec des amis corses. L’argent est généralement un sujet délicat. Etre généreux, dépenser sans compter est pour les Corses une marque de politesse. Compter ses sous ou pire, être franchement avare, est extrêmement mal vu. Dans le passé, les gens qui voyageaient à dos d’âne dans des contrées reculées devaient souvent compter sur la générosité et le sens de l’hospitalité des habitants pour se nourrir et se loger. Recevoir quelqu’un était considéré comme un grand honneur, et les gens se pliaient en quatre pour leurs invités sans jamais accepter de paiement. Il n’y a pas vraiment de culture commerciale en Corse, car au plus profond des mentalités, il est toujours un peu honteux d’exiger un paiement pour quelque chose.
2. Aller au supermarché en maillot de bain
Si vous voulez passer pour une cloche et agacer les gens, promenez-vous au supermarché en tenue de plage, maillot de bain dégoulinant et sable encore collé sur le dos. Vous êtes sûr de vous attirer des regards méprisants ou courroucés, c’est selon. Au pire, on vous escortera hors du magasin. Aucun Corse qui se respecte n’irait en maillot de bain n’importe où ailleurs qu’à la plage. Mais certains touristes n’hésitent pas à faire leurs courses dans des tenues qui frisent parfois l’indécence, ce qui a le don d’agacer les populations locales. Dans certaines communes balnéaires, les maires ont pris des dispositions stipulant que toute personne entrant dans un commerce se doit d’être vêtu décemment. Les maillots de bains sont faits pour se baigner, et personne n’a envie de voir vos seins en faisant ses courses. Enfin, presque personne.
3. Mentionner votre admiration pour Napoléon
Si vous voulez exciter un Corse comme on excite un taureau en agitant un chiffon rouge, dites-lui que vous êtes un grand admirateur de son célèbre compatriote Napoléon. Les continentaux, pleins de bonnes intentions, croient souvent faire plaisir à leurs interlocuteurs corses en mentionnant l’Empereur natif d’Ajaccio. Or les Corses n’ont que peu d’admiration pour Napoléon, qui, poussé par sa dévorante ambition personnelle et familiale, a toujours négligé son île natale pour se consacrer à sa formidable carrière européenne, forgeant ainsi un Empire français et distribuant terres et distinctions aux membres de sa famille et à ses amis proches. Pour les Corses, Napoléon est un pur produit de l’éducation francaise (il fit ses classes à Autun dans une école militaire). Napoléon est né en 1769, l’année de l’annexion par la France et la perte de l’indépendance, faisant de lui un des premiers Corses français. Par une ironie du destin, il est devenu un des personnages les plus illustres de l’histoire de France. C’est probablement ce qu’on lui reproche.
4. Pascal qui ?
Si vous mentionnez Napoléon, les Corses vous citeront certainement de Pascal Paoli comme un meilleur exemple de Corse célèbre. Malheureusement, il y a peu de chances pour que vous le connaissiez. Bien qu’il ait été un personnage important et connu en Europe à l’époque des Lumières, les programmes d’histoire ont tendance à négliger la Corse et à occulter les faits importants qui la concernent. Or Paoli est LE héros, LE personnage historique de la Corse. IL est aux Corses ce que Simon Bolivar est à l’Amérique du sud, ce que Thomas Jefferson est aux Américains : le « Babbu di a patria », le père de la patrie. C’est le héros de l’indépendance face aux Génois, au milieu du 18e siècle. Il dirigea aussi la résistance à l’invasion francaise de 1769, qui mit fit à la période d’indépendance avec une conquête militaire brutale qui a laissé des traces dans la mémoire collective. Les armées de Paoli opposèrent une résistance désespérée et héroïque à l’envahisseur français, dont l’armée était une des plus puissantes du monde. Ces combats de David contre Goliath se terminèrent en bain de sang pour les Corses et le général Paoli, héros tragique, dut s’exiler en Grande-Bretagne où il mourut. Ce dont nous sommes le plus fier, c’est de sa constitution, inspirée des principes des Lumières, et qui inspira à son tour la constitution américaine. (link). « Nous serons libres ou nous ne serons rien », disait-il, résumant ainsi la psychologie corse. Alors, ce n’est pas mieux que ce mégalo de Napoléon ?
5. Dire que les Corses sont impolis
Bien évidemment, si vous arrivez de Thailande, où les gens sourient tout le temps en joignant les mains dans un geste de soumission, la transition risque d’être rude avec les mœurs corses un peu moins policées. Mais si vous arrivez de Paris, au vu mon expérience de touriste dans la capitale, vous ne devriez pas trop souffrir de l’accueil corse, au contraire. La Corse est un pays qui a subi en permanence des hordes d’envahisseurs divers et variés à travers les âges : les Romains, les Goths, les Sarrasins, les Vandales, les Génois, puis les Français, la Corse a toujours été occupée, conquise par la violence. Toujours conquise, jamais soumise, dit l’adage populaire. Au plus profond de la psyché corse se niche une certaine peur de ce qui vient de l’extérieur. Ceci dit, la Corse a assimilé une grande part de ses envahisseurs et a toujours été capable de fabriquer des Corses. Si vous brisez la glace, les Corses peuvent être incroyablement gentils, généreux et solidaires. S’ils ouvrent à vous, ils le font sans réserve et offrent une amitié authentique.
6. Rouler comme une limace
Si vous voulez risquer votre peau, conduisez à une allure de tortue sans un regard dans le rétro pour la queue de véhicules agglutinés derrière vous ; roulez à 40 km/h pour pouvoir admirer le paysage, arrêtez-vous au beau milieu de la route pour prendre des photos (c’est du vécu, j’ai vu des touristes faire ça). Vous allez rendre les gens dingues, c’est garanti sur facture.
Nos routes sont étroites et pleines de virages, ce qui rend les dépassements rares et difficiles. En pleine saison, il suffit d’une personne qui roule à la moitié de la vitesse autorisée pour former une queue interminable de véhicules. Cela rend les gens dingues et ils ont tendance à prendre des risques inconsidérés pour se débarrasser des charrettes, ce qui peut vite devenir dangereux. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, si vous vous traînez à 40 sur une nationale limitée à 90, vous mettez potentiellement votre vie en danger. Alors un conseil d’ami, si vous voulez admirer le paysage, arrêtez-vous sur le bord de la route, il y a suffisamment de possibilités pour le faire. Essayer de vous souvenir que des gens doivent emprunter cette route pour aller travailler ou rendre visite à leur mamie, et qu’ils n’ont pas envie de mettre deux heures pour parcourir 40 km; vous n’aimeriez pas non plus que ce soit le cas chez vous.
7. Dormir dans votre voiture sur un parking
Si vous voulez passer un boulet aux yeux des Corses, dormez dans votre voiture sur un parking pendant votre séjour, mangez des sandwichs faits maison tout le temps sans jamais aller dans un restaurant, bref, soyez aussi avares que possible. L’attitude Picsou, on l’a dit, est une grave offense en Corse. Au pire, vous risquez de vous faire expulser du parking, car c’est illégal, au mieux, les gens vous verront comme une espèce de sangsue qui vient encombrer les plages l’été sans rien apporter à l’économie locale. Il y a un mot corse spécial pour cette catégorie de touristes, on les appelle les pumataghji, c’est-à-dire les mangeurs de tomates. Vous n’avez pas envie d’en faire partie, croyez moi.
8. Comparer les Corses aux Italiens
On comprend très bien que vous vous sentiez dépaysés en Corse, surtout si vous n’êtes pas du sud. C’est normal, et nous sommes fiers de nos particularités. Mais si vous comparez sans cesse la Corse à l’Italie, et les Corses aux Italiens, vous risquez d’en agacer plus d’un. Evitez les comparaisons avec la cuisine italienne, les noms de famille italiens, la langue italienne, tout ce qui est italien en général. C’est délicat, car bien entendu, la comparaison n’est pas dénuée de sens. La Corse a été génoise durant de nombreux siècles, bien plus longtemps qu’elle n’a été française à ce jour. Pisans et Génois ont laissé leur empreinte sur l’architecture et la toponymie de la Corse, la plupart des noms de familles sont originaires de la péninsule, certains remontent même au temps des Romains, et l’italien est restée la langue officielle jusqu’au milieu du 19e siècle. Les Corses sont le résultat de nombreux mélanges et vagues de populations successives ; l’île étant à 80 km de la côte toscane et à 12 km de la Sardaigne, il est évident que les Corses ne sont pas des Martiens tombés du ciel. Cependant, les Corses ont toujours eu des sentiments mitigés vis-à-vis de leurs voisins et cousins de la péninsule. L’occupation génoise, particulièrement brutale, a laissé de mauvais souvenirs, et plus récemment, la période mussolinienne a provoqué un certain ressentiment vis-à-vis de l’Italie qui voulait purement et simplement annexer la Corse. Beaucoup d’Italiens vinrent travailler en Corse durant les deux derniers siècles, notamment des travailleurs saisonniers pour les travaux des champs. Ils étaient souvent considérés comme le sont généralement les immigrés partout dans le monde, c’est-à-dire avec une pointe de mépris et des sobriquets pas toujours sympathiques. Ma propre grand-mère a dû faire face aux réactions outragées de sa famille en épousant un Italien, mon grand-père. Moi, personnellement, les comparaisons avec l’Italie ne me dérangeront jamais, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Evitez donc de dire à un Corse qu’il est comme les Italiens, il risque de mal le prendre. Je crois que c’est avant tout parce que nous ne voulons appartenir à personne, nous voulons juste qu’on nous laisse être nous-mêmes.
9. Dire que la langue corse est un dialecte italien
Voir le paragraphe précédent. En matière de comparaison hasardeuse avec l’Italie, c’est ce que vous pouvez faire de pire. D’un point de vue linguistique, la question est disputée. Le Corse est une langue latine apparentée aux dialectes italiens (et beaucoup d’Italiens vous diront que leur dialecte est une langue). Elle est même plus proche du toscan, qui a donné naissance à l’italien standard, que bien des dialectes de la péninsule. Toutefois, le nord et le sud de l’île présentent des versions différentes, la version parlée dans l’extrême sud présentant plus de similitudes avec les langues du sud de l’Italie. La situation est donc relativement complexe. Si vous ne préparez pas une thèse sur les langues latines, gardez-vous de toute affirmation péremptoire et surtout, quand vous parlez du corse, n’utilisez pas le mot de dialecte, mais de langue.
Comment en vouloir aux Corses d’être un peu susceptibles sur le sujet de leur langue ? C’est un élément fondamental de leur culture qu’on a voulu leur enlever, et qui a failli mourir. Depuis que la France a imposé l’usage du français, l’usage du corse a reculé significativement, et il y a de moins en moins de personnes de langue maternelle corse. La génération de mon grand-père, tous de langue maternelle corse, a dû subir brimades et punitions à l’école pour les empêcher de parler leur langue. Beaucoup d’entre eux ont développé des sentiments de honte ou d’infériorité et n’ont pas transmis leur langue à leurs enfants, croyant agir pour leur bien. Une grande part de l’identité corse s’est ainsi perdue. Avec l’émergence des mouvements anti-globalisation, les mentalités ont changé, et les générations suivantes se sont mobilisées pour se réapproprier leur identité et leur culture. Aujourd’hui les Corses font des efforts pour sauvegarder leur langue, malgré les obstacles et l’opposition régulière des autorités. La situation s’est inversée, à tel point que beaucoup de Corses ont maintenant honte ne pas parler corse aussi bien qu’ils le souhaiteraient ; secrètement intimidés par cette langue qu’ils maîtrisent mal sans l’avouer, ils ont tendance à la mettre sur un piédestal.
Evitez donc de remuer le couteau dans la plaie !
10. Dire que vous avez peur de venir à cause de la violence
C’est probablement une des choses les plus irritantes que vous puissiez dire à un Corse. Disons les choses clairement : vous venez en Corse pour construire un casino et faire des affaires juteuses mais illégales avec un promoteur immobilier, ou bien pour faire du tourisme ? Dans le dernier cas, vous n’avez absolument rien à craindre. Oui, il y a eu de la violence politique en Corse pendant un certain nombre d’années, et oui, malheureusement, la Corse souffre de la violence causée par le crime organisé, qui a mis le grappin sur l’économie de l’île avec la bénédiction des autorités depuis 30 ans, soit dit en passant. Les meurtres dont vous entendez parler dans les journaux sont dus à cette pègre qui sévit du nord au sud de l’île. Les Corses sont les premiers à en souffrir. A cause de ces gangsters, la Corse souffre également d’une image désastreuse dans les médias français, qui présentent l’île comme un coupe-gorge où les gens ont la gâchette facile. Rien n’est plus faux ! La vérité, c’est que si vous n’êtes pas dans le business du crime organisé, vous n’avez absolument rien à craindre en Corse, où la délinquance de droit commun est extrêmement basse. C’est l’avantage d’avoir des grands criminels : les gros poissons ont tendance à manger les petits. Cambriolages, vols à l’arrachée ou agressions sexuelles dans les transports en commun, la Corse est épargnée par tous ces fléaux des grandes villes. On peut pratiquement laisser les clés sur sa voiture. Bonus : si vous êtes une femme, vous n’avez aucune crainte à avoir pour votre sécurité physique, les Corses sont très respectueux des femmes et malheur à ceux qui les agressent. Si vous êtes un homme, n’essayez même pas d’être lourd avec une nana, ça peut mal finir. Les Corses sont très fiers de cette situation, cela les console de bien des choses. Gare à ceux qui porteraient atteinte à cette tranquillité.
11. Critiquer la Corse
Si vous ne voulez pas finir avec trois dents en moins, évitez toute critique virulent de l’île de Beauté devant des Corses. Comme le dit l’adage populaire, « il y a deux types d’individus dans le monde : les Corses et ceux qui rêvent de l’être ». Plus sérieusement, après des siècles d’histoire violente et d’exil, les Corses demeurent très attachés à leur île. Cet amour inconditionnel de la terre natale est sans doute ce qui nous unit par-delà nos différences. La Corse manque à un Corse comme le paradis manquait à Adam et Eve. Tout Corse a un village, qu’il considère comme le jardin d’Eden. Beaucoup d’exilés ne peuvent même pas envisager de passer leurs vacances ailleurs. Alors certes, les Corses sont assez chauvins, mais qui ne l’est pas ? Là où un continental ne verra que des chiffres, nous, nous sentons l’odeur du maquis après une chaude journée d’été, nous voyons la beauté d’un lever de soleil sur les sommets, le bleu de la mer dans un golfe, le goût du miel du maquis sur une tartine, et toutes ces choses qui font que la Corse restera pour nous à jamais le plus beau pays du monde, et que nous sommes incroyablement heureux d’y être nés.
Comme disait Pido dans le film l’Enquête corse : « critiquer la Corse ? oui, on peut, mais il ne faut pas le faire ». 🙂
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